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Paix et droits économiques et sociaux en Colombie, un défi systémique

Paix et droits économiques et sociaux en Colombie, un défi systémique
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Le mardi 9 septembre, en marge de la 60e session du Conseil des droits de l’homme à Genève, PBI a modéré un évènement parallèle intitulé «De la transition à la transformation: garantir les DESCA (droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux) pour une paix durable en Colombie». Cette rencontre a réuni plusieurs acteurs de la société civile colombienne ainsi que la Mission permanente de la Colombie auprès de l’ONU, avec pour objectif de faire un point sur la situation des DESCA dans une Colombie encore fragilisée par les violences armées, près de dix ans après les accords de paix de 2016.

L’événement  "De la transición a la transformación: Garantizar los DESCA para una Paz sostenible en Colombia", qui s’est tenu au Palais des Nations à Genève, a réuni plusieurs panélistes, dont Gustavo Gallón Giraldo, Ambassadeur de la Mission permanente de la Colombie à Genève, ainsi que des représentant·e·s de la société civile colombienne. La modération a été assurée par Yannick Wild de PBI.

Contexte : paix et DESCA en Colombie

Après des décennies de conflit entre l’État colombien et divers groupes paramilitaires – dont le plus connu, les FARC, avec également l’implication d’organisations criminelles liées aux cultures illicites – un accord de paix a été signé en 2016. Un an plus tard, le comité colombien DESC (Droits économiques et sociaux en Colombie) constatait que les conflits armés internes persistaient malgré l’accord, compromettant le respect des obligations inscrites dans le Pacte international des DESC (PIDESC).

Le comité avait déjà insisté sur l’importance de mettre en œuvre l’accord de paix de 2016 qui prévoyait plusieurs mesures concrètes, comme l’affection de ressources humaines, techniques et financières, une attention sur la participation des femmes, la mise en œuvre d’une réforme rurale, ainsi que le déroulement d’un programme national de substitution des cultures d’usage illicite.

Aujourd’hui encore, malgré des avancées, la mise en œuvre de l’accord de paix stagne, tout comme celle du PIDESC, en particulier au sein des communautés afrodescendantes et autochtones. À la veille du dernier examen de la Colombie par le comité DESC, l’évènement parallèle visait à interroger les liens entre justice sociale, respect des DESCA, persistance de la violence et justice transitionnelle.

La «Paz total» et ses limites

Dans son intervention, l'Ambassadeur Gustavo Gallón Giraldo a souligné les progrès réalisés dans l’application de l’accord de 2016 sous le gouvernement de Gustavo Petro, notamment en matière de financement et de participation citoyenne. Avec la «politique de paix totale», l’exécutif cherche à renforcer la présence de l’État en s’attaquant aux causes structurelles du conflit et en améliorant le respect des droits humains. Mais, selon plusieurs intervenant·e·s, la situation reste critique et progresse trop lentement.

Jesús Albeiro Parra Solís, directeur de la coordination régionale du Pacifique colombien, a rappelé que les violations des DESCA deviennent des causes structurelles du conflit armé et que, selon lui, la garantie des DESCA constitue le support matériel et symbolique d’une paix durable.

«Les violations des DESCA, comme la pauvreté, l’inégalité, l’exclusion ethnique et la dégradation de l’environnement, deviennent des causes structurelles du conflit armé.» — Jesús Albeiro Parra Solís

Camila Zuluaga Hoyos, avocate de la Commission colombienne des juristes, a dressé un constat préoccupant: malgré des avancées normatives depuis 2016, les violences contre les défenseurs·euses des droits humains n’ont pas cessé. Plus de 1'500 assassinats et 10 enlèvements ont été recensés entre 2018 et 2025. Parmi eux, 211 homicides ont visé des défenseurs·euses de l’environnement, de la terre et du territoire: 166 militants paysan·ne·s, 33 militant·e·s écologistes et 12 acitoyen·ne·s réclamant leurs terres après des déplacements forcés. Dans plus de 140 cas, les responsables n’ont pas été identifié·e·s. L’avocate a dénoncé «une immense fenêtre d’impunité», appelant à renforcer les enquêtes. Si la Cour constitutionnelle a reconnu cette situation de violence systématique et mis en place un plan intégral de protection, l’écart entre normes et réalité demeure.

« Nous faisons face à une immense fenêtre d’impunité face aux agressions commises contre les personnes défenseuses.» — Camila Zuluaga Hoyos

La question foncière, cœur de l’Accord de paix

L’accès à la terre reste un enjeu central. Javier Lautaro Medina, coordinateur de l’axe Mouvements sociaux, Terre et Territoire au CINEP, a rappelé que le premier point de l’accord de 2016, la réforme rurale intégrale, concentrait à lui seul près de 80% du budget prévu pour sa mise en œuvre. Pourtant, aucune avancée significative n’a été réalisée à ce jour. Gallón Giraldo a lui-même reconnu que la Colombie présentait l’une des pires concentrations foncières au monde.

«La Colombie est l’un des pays au monde avec la plus forte concentration de terres.» — Gustavo Gallón Giraldo

Femmes et communautés ethniques

María Eugenia Ramírez, directrice de l’Institut Latino-américain pour une Société et un Droit Alternatifs, a dénoncé les insuffisances du cadre légal en matière de droits sexuels et reproductifs, notamment dans les zones rurales. Elle a mentionné des abus liés au consentement dans les soins prodigués aux femmes en situation de handicap.

La Plateforme Colombienne des Droits Humains a insisté sur la nécessité de reconnaître les peuples ethniques – autochtones et afrodescendants – et de mettre en place des mesures concrètes de protection de leurs cultures et territoires. Bien que des progrès aient été réalisés dans la reconnaissance légale de leurs droits fonciers, ces communautés, souvent modestes et installées dans des zones reculées, restent confrontées à des difficultés d’accès à la terre et à des manœuvres d’intimidation. Sous le gouvernement actuel, 1'551 victimes issues de ces communautés ont été reconnues, mais la porte-parole a insisté sur l’urgence d’avancées significatives d’ici la fin du mandat.

Une paix encore fragile

Pour l’Ambassadeur Gustavo Gallón Giraldo, le gouvernement de Gustavo Petro a néanmoins engagé des efforts importants dans le cadre de sa politique de «paz total», notamment en matière de financement et de participation. Mais l’ensemble des intervenant·e·s ont rappelé que, sans mesures structurelles et effectives pour garantir pleinement les DESCA, la paix en Colombie restera fragile et inachevée.

À l’issue de l’examen de la Colombie par le comité des DESCA, le 10 septembre, le président Gustavo Petro s’est engagé à appliquer les recommandations de la Commission de la Vérité, chargée de remettre un rapport au Comité des droits économiques et sociaux, réaffirmant sa volonté de promouvoir une véritable culture de paix.

 

Article rédigé par Joan Ruiz, bénévole, en collaboration avec PBI Suisse.

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